DARK SOULS (PREPARE TO DIE EDITION)
Année : 2012
Studio : FromSoftware
Éditeur : Namco Bandai Games
Genre : prepare to die of pleasure Edition
Joué et testé sur PlayStation 3
Support : Blu-ray
Un humain maudit se réveille dans une sombre cellule, au sein d’un asile oublié. À sa grande surprise, il n’est pas tout à fait mort. Ce Chosen Undead parait avoir un destin sans pareil. L’Âge du Feu touche ainsi à sa fin, et le monde semble promis à l’Âge des Ténèbres. Pour éviter cela, le Chosen Undead est envoyé à Lordran, là où les Seigneurs du Feu s’étaient installés au début de leur règne. Il devra tout d’abord trouver le moyen de réveiller les Serpents Primordiaux, et lutter contre des monstres, rois et sorciers immémoriaux avant de finalement décider si le temps est venu de renforcer la flamme, ou de l’éteindre à jamais…
Bien qu’ayant terminé – et adoré – DEMON’S SOULS en 2009, quelques mois seulement après sa sortie internationale, j’ai mis un temps fou pour me replonger dans un jeu de FromSoftware. Éreinté, puni bien qu’également subjugué par DEMON’S SOULS, j’ai eu du mal à tendre l’autre joue, à me lancer dans l’autre joute. J’ai finalement craqué en 2015 avec le sublime BLOODBORNE, qui en a d’ailleurs profité pour croquer une grande partie de mon temps libre. L’accueil que ces jeux réservent aux joueurs est souvent intense : ce devoir d’exigence qui leur incombe alors est évidemment une qualité mais peut aussi parfois revêtir les atours d’un improbable écueil. Il faut du temps, pour jouer sérieusement à des jeux comme ceux-ci, il faut s’investir, creuser, chercher, réfléchir. Souffrir ? Oui, et non. La difficulté hardcore des Soulsborne a depuis longtemps été démystifiée : sans avoir l’outrecuidance de les trouver faciles, puisque le joueur y a souvent l’impression d’être cacochyme, on ne peut pas non plus dire qu’ils sont très difficiles. Ils sont exigeants.
N’y allons pas par quatre chemins de croix : DARK SOULS premier du nom est un chef d’œuvre – oui même sur PlayStation 3, bien qu’il soit recommandé d’y jouer dorénavant dans sa version remasterisée sur Xbox One ou PlayStation 4. Est-ce que certaines textures et surtout le framerate souffreteux m’ont dérangé ? Pas le moins du monde, même si pour être honnête, il faut avouer que dans certaines portions du jeu c’est particulièrement violent. Mais tel un amant crucifié, le bonheur procuré était tellement intense qu’il me faisait oublier la douleur. Et très franchement, peut-être que des joueurs n’ayant pas connu cette génération de consoles auront du mal à comprendre mon émerveillement, mais je trouve que DARK SOULS sur PlayStation 3 est absolument magnifique : ses musiques sont exceptionnelles, ses environnements grandioses et ses graphismes saisissants – on se sent tour à tour écrasé par certaines structures, littéralement asphyxié par des huis clos torturés, puis miraculeusement transporté, pour ne pas dire ému, par la vision de panoramas mirifiques, profonds, enivrants. Lorsqu’un joueur parcoure une muraille pour s’attarder quelques instants sur un décor lointain dessinant des courbes improbables sur l’horizon, et qu’il réalise qu’il s’agit en fait d’une région qu’il a préalablement visitée, et vaincue, cela lui procure une sensation indescriptible. Dans DARK SOULS tout est lié : oui le level design confine au sublime.
Le jeu reprend la recette magique de son illustre ainé, lui aussi réalisé par Miyazaki Hidetaka – celle d’un action-RPG où chaque décision est définitive, mêlant action, lancers de sorts et de miracles, approches directes ou plus furtives, exploration et mystère. La narration très cryptique renforce, à mon sens, le sentiment de totale immersion : il faut bien écouter, être attentif à chaque détail. Peut-être s’aider de quelques encyclopédies sur Internet ? Selon moi, il ne s’agit pas d’un crime de lèse-majesté. J’ai par exemple utilisé quelques pages virtuelles pour m’aiguiller sur la forge d’une arme magique (c’est loin, très loin d’être évident) afin d’armer plus efficacement mon sorcier – cela fait aussi un peu partie du jeu, je trouve, et pourrait s’apparenter à la consultation de plusieurs pages, en papier cette fois, d’un vieux grimoire dissimulé dans un recoin caché des archives d’une bibliothèque oubliée. Les sorciers parlons-en : ils sont parfois critiqués par certains joueurs, car ils permettraient de rouler sur la plupart des boss sans fournir suffisamment d’efforts. Je ne suis pas d’accord. Durant toute la première partie de mon aventure, j’ai vraiment galéré dans la peau et la soutane d’un lanceur de sorts – j’ai rasé bien des murs écorchés, avec mon petit bouclier constamment levé. Un guerrier avec son armure, son puissant bouclier, une arme fracassante, son endurance et sa grande réserve de points de vie progressera plus vite, plus naturellement je pense. Avec un sorcier l’expérience est différente, et le sentiment de toute puissance prend du temps à éclore. Pour moi il est survenu après avoir vaincu, non sans mal, Seath the Scaleless : j’ai enfin pu me faire forger une arme dont les dégâts étaient basés sur l’intelligence, et accéder aux sorts tonitruants du magicien Logan. Ainsi équipé, mais aussi plus expérimenté, j’ai effectivement trouvé la dernière partie de DARK SOULS plus facile – mais pas moins plaisante : ça fait quand même rudement plaisir de terrasser des monstres ventrus qui nous avaient mené la vie dure, jusque-là !
Mais en réalité, chaque joueur aura une expérience différente, et c’est aussi ce qui fait le charme vénéneux de ce jeu. L’équipement, la manière de faire face au danger, ou encore l’ordre dans lequel on aborde certaines zones – il y a autant de possibilités que de joueurs concernés. Certes le jeu donne parfois des indices sur la marche à suivre (par le biais d’un dialogue, voire d’une scène cinématique) ou alors le pic de difficulté est trop grand : les Catacombes et New Londo Ruins sont ainsi accessibles dès le début de l’aventure, mais après quelques mètres effectués dans ces univers impitoyables et décharnés, vous devriez logiquement revenir sur vos pas pour vous diriger dans une autre direction. Mais comme je l’ai dit, le choix appartient au joueur – personnellement, lors de ma première partie, je n’ai pas vraiment respecté l’ordre logique des choses puisque, pour faire sonner la deuxième cloche, je me suis précipité dans la toxicité des remugles de Blighttown par le chemin le plus retors. Une région sombre et souterraine, construite dans la verticalité comme un bateau ivre qui se serait échoué dans une caverne : oui c’est un véritable chaos architectural dans lequel il est difficile de se retrouver. Ce fut vraiment ardu, mais j’ai finalement touché le fond de l’improbable structure pour atterrir dans un marais infernal, puis je me suis maladroitement frayé un chemin dans ce monde empoisonné et déprimant pour faire face à plusieurs boss que je n’aurais peut-être pas dû rencontrer si tôt… Car je ne me suis pas arrêté là : j’ai en effet poussé le vice à m’enfoncer encore plus loin dans les profondeurs infernales de DEMON RUINS pour, finalement, m’y retrouver bloqué par une barrière magique qui, je le comprenais alors, m’invitait poliment à rebrousser chemin. J’étais un peu dépité, certes, mais aussi galvanisé par une telle aventure, autant d’émotions. J’avais également acquis davantage d’expérience – au sens propre comme au figuré.
Le jeu est pour sa grande majorité constitué de zones magistralement connectées entre elles – bien évidemment, il faudra suer sang et eau pour débloquer certains raccourcis et autres chemins de traverse, en progressant petit à petit, en atteignant des feux de camp (bonfire) qui permettent entre autres choses de nous revitaliser et qui font office de checkpoint (mais presque tous les monstres tués réapparaissent) – à la prochaine mort, on renait ainsi au dernier feu visité. La découverte d’un nouveau feu de camp procure toujours une émotion très particulière, un soulagement très profond. Les environnements de DARK SOULS sont extrêmement variés : ils regorgent de détails lumineux, de secrets, de combats épiques ou traitres, pour ne pas dire vénéneux. Les premiers pas très moyenâgeux dans Undead Burg et Undead Parish sont inoubliables. L’ambiance nocturne et spectrale dans la nature impénétrable de Darkroot Garden et Darkroot Basin procure une espèce de plaisir malaisant. Le level design de la Sen’s Fortress rappellerait presque des titres comme CASTLEVANIA, avec ses dangereuses plateformes et ses pièges mortels – il s’agit selon moi de l’une des zones les plus difficiles du jeu. Et que dire au sujet de la majesté d’Anor Londo ? Outre son architecture extraordinaire et ses secrets solaires, on y livre aussi des combats extrêmement intéressants, avec notamment l’un des meilleurs duels de boss du jeu, contre Ornstein et Smough.
Dans un réflexe presque pavlovien, de nombreux joueurs critiquent aujourd’hui la deuxième moitié du jeu, allant jusqu’à la qualifier de mauvaise. Internet dans toute sa splendeur, toujours dans la demi-mesure ! Tout d’abord, il n’y a pas vraiment de « deuxième moitié » du jeu – cela dépend de la progression de chaque joueur (par exemple, j’ai parcouru Painted World of Ariamis vers la fin de mon aventure), et en plus le DLC (superbe, avec deux ou trois combats de boss fabuleux), qui fait désormais partie intégrante du jeu, doit se lancer plus ou moins à ce moment-là. Ensuite, oui, Lost Izalith est sans doute la zone qui a le plus de défauts (disposition de certains ennemis en rangs d’oignons, quelques monstres qui ne ressemblent à rien et un boss raté, voire injuste). Mais tout n’est pas condamnable dans Lost Izalith, et surtout une seule zone moyenne ne suffit pas à jeter le discrédit sur toute la moitié d’une aventure, à sonner l’hallali du surdoué Miyazaki ! Parcourir Anor Londo et s’infiltrer ensuite dans The Duke’s Archives (ses combats féroces, ses labyrinthiques escaliers) demeurent pour moi une formidable expérience, rehaussée par la découverte, juste après, de la Crystal Cave, elle aussi souvent décriée pour son apparente linéarité et sa courte durée – eh bien moi j’ai beaucoup aimé ce petit voyage au pays des cristaux et des illusions. J’ai également vraiment apprécié New Londo Ruins et ses fantômes glaçants, et surtout Tomb of Giants, située après des Catacombes assez ardus et dont il est difficile de percer tous les secrets. Plongée dans une obscurité vorace qui parait dévorer nos espoirs et notre santé mentale, cette région propose au joueur un marché particulièrement salace : acceptera-t-il de s’encombrer d’une lourde lanterne magique pour percer les ténèbres, au risque de délaisser son bouclier ? À moins qu’il n’y ait une autre improbable source de lumière, dissimulée quelque part ?
DARK SOULS est un chef d’œuvre absolu, d’une richesse inouïe. Mais c’est aussi un jeu qui se mérite – je ne parle pas forcément de sa difficulté, très relative, mais plutôt de son exigence, et de ses zones d’ombre. Vous risquez ainsi de passer à côté de nombreuses choses, durant votre périple. Ici la diseuse de bonne aventure est plutôt taiseuse ! Pour ma part, et je le sais désormais après avoir épluché quelques guides sur Internet, j’ai par exemple manqué un boss optionnel à Anor Londo et plusieurs personnages importants dans les Catacombes, et j’ai même ignoré une zone entière située peu avant la fin du jeu. Pire : j’ai bien dû mettre environ vingt heures avant de voir qu’il y avait une option Kindle, aux feux de camp, et comprendre le concept d’Humanité… sans parler de la parade, que j’ai toujours du mal à maitriser. Mais qu’importe ! Cela fait partie de l’expérience de jeu, du charme d’une aventure qui se révèlera différente d’un joueur à l’autre. Et au terme de votre première partie après quelques dizaines d’heures de lutte acharnée, lorsque vous remettrez une pièce maudite dans la machine rouillée, vous vous rendrez compte qu’elle était en fait, dès le départ, parfaitement huilée.
DARK SOULS est un très grand jeu, qui aspecte les abysses… de l’éternité ? Je serais presque tenté de répondre par l’affirmative après avoir croisé le fer avec quelques joueurs en ligne en 2025 sur cette vieille version du titre, sur une antique PlayStation 3. Je n’ose donc imaginer le nombre de personnes trainant encore leurs guêtres sur la version Remastered de DARK SOULS, sur PlayStation 4 et Xbox One ! Succès critique et public amplement mérité pour ce chef d’œuvre du genre action-RPG, qui a repris la flamme du glorieux DEMON’S SOULS, autre chef d’œuvre ayant réinventé l’idée de la difficulté dans le jeu vidéo : ces jeux ne sont pas très difficiles, aucun game over à l’horizon des avènements des Souls-like, mais ils sont extrêmement exigeants. Profond, riche, tellement varié et déroutant, DARK SOULS est un jeu dans lequel on aime se perdre pour, finalement, mieux s’y retrouver.
Images : Jeuxvideo.com
Trailer :