MEWILO
Année : 1987
Studio : Coktel Vision
Éditeur : Coktel Vision
Genre : méli-méwilo
Joué et testé sur Atari ST
Support : disquette
Le 7 mai 1902. Vous êtes un parapsychologue de renom, dont les capacités frôlent parfois, dit-on, les limites reconnues par la science. Alors que la montagne Pelée gronde, vous débarquez dans le nord de la Martinique, à Saint-Pierre, afin de résoudre un épineux mystère. La famille Hubert-Destouches entend en effet de drôles de bruits, la nuit venue. Certains racontent même qu’il s’agirait d’une histoire de fantôme… voire de zombie.
Il sera bien question d’esprits, dans votre aventure. Surnaturels, peut-être. Mauvais esprits, aussi ? C’est qu’en replongeant dans la triste réalité de l’esclavage, récemment aboli, vous allez rouvrir des plaies encore bien douloureuses – et dont les racines semblent bien ancrées dans la vie des békés et autres grands propriétaires terriens.
Logiciel peu connu des joueurs, MEWILO n’en demeure pas moins un titre important dans la petite histoire française du jeu vidéo. Sorti à la fin des années 80 sur ordinateurs 8 et 16 bits, il ne s’agissait ni plus ni moins que du premier jeu inspiré de la culture antillaise – un pas en avant d’autant plus remarquable que MEWILO est un jeu très documenté et qui touche à la fois à l’économie, à l’histoire, à la politique, mais aussi à la culture martiniquaises. Ce travail de reconstitution a été récompensé par une médaille d’argent du service culturel de la mairie de Paris. Ceci étant dit (grâce à mes connaissances très larges en la matière grâce à une consultation poussée d’une page Wikipédia), ne soyez pas effrayé par tous ces aspects plutôt éducatifs : sous ses atours un brin scolaires, MEWILO n’en demeure pas moins un vrai jeu, et c’est là que le tour de passe-passe de l’équipe en charge de ce projet prend toute sa valeur.
MEWILO est en effet un vrai jeu d’aventure, dans lequel vous devrez parfois chercher des petits objets sur l’écran, discuter avec des personnages, aller de lieu en lieu pour dénicher des indices, naviguer sur une carte du nord de la Martinique et répondre à certaines questions pour faire avancer l’intrigue. En soi, MEWILO est un jeu d’aventure à écrans fixes plutôt convenable pour l’époque, qui se permet même le luxe de se situer au carrefour de différents genres (c’est presque de l’enquête pure et dure, parfois).
Si l’aventure de MEWILO est très adulte (oubliez la novlangue actuelle, dans MEWILO certaines expressions ou situations sont crues et donc particulièrement authentiques), elle propose aussi un voyage incroyable dans le temps, à savoir le 7 mai 1902 quelques jours avant la terrible éruption de la montagne Pelée – une époque où la récente abolition de l’esclavage n’avait pas encore fait disparaitre les douleurs du passé, les secrets inavouables de l’oligarchie béké, les peurs ataviques, le climat politique détestable (qui sous-estimera les dangers d’une éventuelle éruption ?) et les inégalités qui avaient, hélas, la peau dure. Muriel Tramis dont c’était là, je crois, le premier jeu, a l’intelligence de ne pas tourner le dos à certaines croyances ancestrales de la Martinique – qui, à mon sens, constituent également une émanation pleine de sens de la culture d’un pays ou d’une région. Dans MEWILO, il sera donc autant question de sombres secrets en rapport avec l’esclavage que de légendes surnaturelles à base de zombies ou de fantômes protégeant des trésors… Tous ces détails mis bout à bout confèrent à MEWILO un charme absolument unique, rehaussé par tout le côté « reconstitution historique » très poussé puisque la plupart des écrans du jeu sont des copies (en couleurs et en pixels) de cartes postales noir et blanc de l’époque. Génial – enfin surtout sur Amiga et Atari ST, sur Amstrad il est parfois difficile de différencier les objets importants des simples décors…
MEWILO, c’est aussi une idée du jeu total avant l’heure. Là où les jeux vidéo sont désormais devenus un loisir d’assistés tendant vers le tout dématérialisé, MEWILO élargit ses horizons pour toucher à la fois à l’histoire, à la littérature ou encore à la cuisine ! Dans la boîte du jeu, vous pouviez en effet trouver une nouvelle de l’écrivain Patrick Chamoiseau (qui a aussi écrit les textes du jeu), la recette d’une spécialité locale, une cassette audio du groupe Malavoi et un dictionnaire créole : les Békés, Mulâtres et autres Quimboiseurs n’auront plus aucun secret pour vous ! En plus de vous immerger dans une époque et une culture que vous connaissez peut-être mal, tous ces différents médias peuvent aussi vous servir d’indices – car le jeu est parfois assez dur, notamment lorsqu’il vous oblige à répondre à des questions sur l’histoire et la culture martiniquaises (connaissiez-vous l’arbre du voyageur, le collier-chou, le décollage ou le vesou ?). Plus perfide encore : l’un des protagonistes de l’aventure va vous lancer des devinettes – des titim (tim-tim), aussi appelées sirandanes à l’île Maurice ou à la Réunion. Le protagoniste en question travaille au pitt, là où ont lieu les combats de coqs. Il vous offrira une poule noire (indispensable à la suite de votre périple) si et seulement si vous répondez à deux devinettes de son cru. Un exemple ? « Pendant qu’elle court, elle mange sa queue. De quoi s’agit-il ? » Eh oui, ce n’est pas évident. Il vous faudra une bonne dose de matière grise pour sortir du noir. Pour ma part, j’ai fait des recherches sur Internet et ai ainsi découvert quelques sites très riches (et très intéressants) sur le sujet. C’est ce dont je vous parlais plus haut : une idée du jeu vidéo total, au carrefour de plusieurs médias et qui pousse à l’exploration, à étancher votre soif de (nouvelles) connaissances. Si je m’en suis sorti grâce à Internet, imaginez donc dans quelle situation pouvait se trouver le joueur en 1987 ou 1988 ! Un brin opportuniste, la notice de MEWILO (et un easter egg amoureusement caché dans l’un des écrans du jeu) vous invitait à utiliser votre Minitel pour vous rendre sur le 3615 KOKO – échanges entre joueurs, indices et informations complémentaires y étaient soi-disant proposés. Au prix de la connexion de l’époque (mon père se souvient encore de mes visites sur le 3615 Joystick), j’espère que les indices en question valaient leur pesant de corossols !
Si MEWILO m’a enchanté, c’est aussi parce que je suis directement issu de cette période bénie pour les jeux vidéo (on découvrait des nouvelles choses chaque semaine, notre imagination n’avait aucune limite). Au contraire, un joueur plus jeune aura peut-être beaucoup de mal à apprécier un tel voyage, aujourd’hui. Sans même parler de l’aspect technique complètement désuet (musicalement c’est par exemple très décevant pour la fin des années 80) ou du principe directeur de ce genre de jeux désormais passé à la postérité (de simples écrans fixes), comme je l’ai déjà précisé dans MEWILO il n’y a aucune assistance, et si le début de l’aventure est simple, ça se corse par la suite – grâce à un compteur situé en bas à droite de l’écran, il est possible de connaître votre taux de progression. Je suis bloqué à 66 sur 99. Oui, bloqué ! MEWILO n’étant pas nécessairement très joué ou très reconnu à l’heure actuelle, je n’ai pu trouver d’aide nulle part. Quelle solution me reste-t-il ? Le vague à l’âme, peut-être jeter une bouteille à l’amer. Non, c’est démodé. Lancer une clé USB dans la rue, c’est mieux. Voire éventuellement un texte html sur un forum virtuel. Dernière solution : ne pas baisser les bras et me retrousser les manches. Oui, un jour j’en viendrai à bout !
Un dernier mot sur les versions du jeu : préférez bien évidemment MEWILO sur 16 bits, Amiga ou Atari ST. Sur Amstrad le soft demeure très attachant mais perd indéniablement de son charme en raison de ses graphismes plus grossiers qui peuvent négativement impacter votre progression (louper un détail à cause d’un objet trop pixelisé se confondant avec les décors). Curieusement, à présent seule une version Atari ST en français semble circuler – sur Amiga, je n’ai rien trouvé d’autre qu’une rom en allemand. Un peu dur quand on ne parle pas la langue de Goethe et qu’il faut en même temps jongler avec des expressions entièrement écrites en créole !
[EDIT] ÉPILOGUE : Le 2 février 2015, je suis enfin parvenu à terminer le jeu à 100% – grâce à un petit coup de pouce providentiel ! Le jeu possède deux gros pics de difficulté (dont un assez injuste), mais son intrigue se révèle aussi particulièrement passionnante – légende de la jarre d’or, esprit qui ne trouve pas le repos, secrets de famille bien gardés… Par contre, la fin est un peu abrupte. C’est dommage, certes, mais on y découvre malgré tout une anecdote historique fort intéressante.
Note : Nostalgie :
MEWILO est un jeu diablement envoûtant, qui fait la part belle à l’histoire, à la culture et aux croyances ancestrales de la Martinique. Avec ce soft, Muriel Tramis entre par la grande porte dans le monde des jeux vidéo. Techniquement perfectible, MEWILO a autre chose à offrir : un voyage inoubliable dans une Martinique qui digère tant bien que mal l’abolition de l’esclavage – suivant les familles dont les gens sont issus. Maintenant, il faut bien garder à l’esprit qu’un jeu comme MEWILO n’a pas nécessairement bien vieilli. Si son côté « jeu total » vous imposant de faire des recherches dans différents domaines est une idée absolument géniale, ses mécaniques poussiéreuses (disons même désuètes) devraient avoir raison de la patience de plus d’un joueur.
Images : jeux vidéo et des bas
Une courte vidéo :
Bonjour Oli, Bravo pour ce travail d’investigation. Je n’aurais pu mieux parler de mon propre jeu. Vous avez effectué une plongée authentique dans la culture martiniquaise chose incroyable de la part d’un non-créolophone et sur un jeu qui a bien mal vieilli. Le monde est peut-être mûr pour une version modernisée. Vous serez alors mon meilleur prescripteur !
Muriel, tu aurais pu l’aider au moins ! Tu sais la frustration qu’on a lorsqu’on reste bloqué à 66%.
Heureusement que je passe par là 🙂
Alors je sais ce que tu cherches ! c’est la lettre des aveux de Arnaud.
Quand tu vas à cathédrale, et que MMe doussaint est là, il faut cliquer sur le petit pixel noir sur le flan du livre qu’elle tient dans sa main (après qu’elle a parlé je pense).
il y a un petit bug dans le jeu, donc il faut que ce soit la première chose que tu cliques quand tu arrives sinon ça ne marchera pas.
Si elle ne te donne pas la lettre, quittes cathédrale et revient, et là clique directement sur le pixel noir du livre.
Pour la petite histoire, j’ai mis 20 ans pour trouver.
Sinon très bon article. Félicitation.
Ah ! Il y avait donc bien un petit bug ! Merci pour la solution – Muriel m’avait déjà soufflé celle-ci (j’ai d’ailleurs ENFIN dépassé ce satané seuil des 66%), mais je n’étais pas sûr pour l’histoire du bug. Je vois donc que nous sommes deux à ne pas avoir réussi à trouver le sommeil à cause de ça, ah ah ah !
Merci !
Merci d’avoir pris le temps de passer sur ces pages, et pour votre très gentil commentaire.
Super article! merci de faire partager ces oeuvres peu connues possedant une véritable âme!
Je t’en prie gabbersteff. Encore une fois merci pour tes retours, c’est très motivant.