DEADLY PREMONITION: THE DIRECTOR’S CUT
Titre alternatif : Deadly Premonition: Red Seeds Profile Complete Edition
Année : 2013
Studio : Access Games
Éditeur : Rising Star Games
Genre : mauvaise(s) graine(s)
Joué et testé sur PlayStation 3
Support : Blu-ray
Le cadavre d’une jeune femme, tristement mis en scène en pleine nature, est découvert par des habitants de la petite ville très bucolique de Greenvale. L’agent spécial Francis York Morgan est alors dépêché sur place par le FBI pour mener les investigations en collaboration avec les forces de l’ordre locales. Ce meurtre aurait en effet de bien étranges ramifications… Mais tandis que Morgan s’approche de Greenvale au volant de sa voiture, il est contraint de faire une embardée désespérée et finit dans le décor. Plus de peur que de mal, au premier abord. Mais c’est précisément à ce moment-là que d’étranges créatures vont se jeter sur lui.
La sortie déroute !
2025, le 15 janvier. David Lynch s’en est allé. Il est définitivement parti sur son autoroute pleine d’infini. Ne pouvant me résoudre à refermer la parenthèse désenchantée de son cinéma, j’ai bien évidemment revu plusieurs de ses films dans la foulée, avant de prolonger l’expérience dans un media que, curieusement, David Lynch bouda. Contrairement à Guillermo Del Toro, Steven Spielberg, John Carpenter et tant d’autres, David Lynch n’a en effet jamais participé de près ou de loin à la genèse d’un jeu vidéo – pourtant son univers a inspiré un grand nombre d’acteurs plus ou moins actifs de ce petit monde depuis toujours si inventif. Et DEADLY PREMONITION est sans doute l’un des plus célèbres jeux estampillés du sceau lynchien. J’y avais joué il y a de nombreuses années de cela, avant de rapidement abandonner ma partie, la faute à une maniabilité que j’avais péremptoirement qualifiée d’atroce. Je l’ai donc récemment ressorti, et si je n’ai toujours pas adoubé sa maniabilité, en particulier durant les phases de conduite, j’ai réussi à apprécier ce que le jeu avait à offrir sans pour autant constamment me crisper sur ses défauts.
DEADLY PREMONITION est un jeu qui mêle monde ouvert (une ville de campagne et sa région) et séquences de survival horror plus balisées. Contre toute attente, le mélange des genres détonne, amuse, dérange et démange : on est pris dans l’histoire, happé par l’atmosphère et les passages en mode survival horror, aussi classiques et désuets soient-ils, viennent apporter un peu de variété à notre enquête. Les points communs entre la ville de Greenvale et Twin Peaks sont légion et combleront les fans de David Lynch – les crimes crapuleux s’intriquent dangereusement avec un surnaturel rampant, l’ambiance générale et la galerie de personnages très originale répondent à la série dans un délicieux écho, Emily ressemble comme deux gouttes de rose et d’eau à la sublime Naomi Watts (MULHOLLAND DRIVE) et l’agent Francis York Morgan rappelle bien évidemment Dale Cooper, alors magistralement interprété par Kyle (Kale ?) MacLachlan – il convient de noter que le réalisateur du jeu, SWERY, a indéniablement réussi un coup de maitre avec Francis York Morgan. Sans jamais tomber dans la pale copie ou la parodie de Dale Cooper, Francis York Morgan parvient à rendre hommage à ce dernier tout en ayant ses propres travers et personnalité(s) – par exemple là où Dale Cooper réfléchissait à haute voix en s’adressant à Diane via un magnétophone enregistreur, Francis York Morgan semble parler à une espèce d’alter ego, nommé Zack. S’agit-il du joueur dans un exercice de style faisant intervenir le quatrième mur, ou la réalité est-elle ailleurs, plus dure ? La réponse apportée par SWERY à la fin du jeu n’est pas sans faire preuve d’une certaine maestria.
Le nerf du jeu est donc constitué d’un monde ouvert – Greenvale et ses proches environs, ce n’est pas immense mais il y a malgré tout pas mal de kilomètres carrés à parcourir. La ville prend littéralement vie, et il faut même en respecter les horaires ! Un brin étrange pour un agent du FBI, mais si vous vous rendez chez quelqu’un à une heure tardive par exemple, il ne vous ouvrira pas sa porte. Il en va de même pour la plupart des lieux présents sur la carte : les magasins, pubs et autres restaurants ouvrent et ferment à certaines heures, et moult détails, petits secrets et nombreuses petites quêtes annexes ne se dévoileront pas à vous à moins que vous ayez un sens aigu de la ponctualité. Un petit truc pour vous aider à patienter avant l’ouverture d’un bureau ou d’un café : brûler une clope permet de faire défiler les heures plus rapidement. On vous l’avait bien dit : fumer tue… le temps !
Il m’a fallu une petite trentaine d’heures pour terminer l’aventure – signe que j’ai vraiment aimé le jeu, je n’ai rien précipité et ai pris beaucoup de plaisir à baguenauder sur toute la carte. J’ai pris le temps de prendre plusieurs cafés chaque matin, lorsque j’y pensais j’allais même au restaurant, je me suis aventuré sur des sentiers reculés en pleine cambrousse, j’ai parfois été pris aux tripes par des rebondissements tristement choquants, je me suis souvent laissé bercer par les somptueuses mélodies composées pour l’occasion, j’ai beaucoup discuté avec les habitants, j’ai gratté çà et là pour dénicher quelques secrets et, parfois, débloquer des objets extrêmement utiles. J’ai un peu ri, aussi. Enfin, j’ai pris les séquences de survival horror, pas très inspirées il est vrai, comme des recréations, des défouloirs où l’on prend un certain plaisir, voire un plaisir certain, à truffer de plombs diverses créatures du malin – bien réelles, issues de l’imagination de York ou d’un univers parallèle ? La réponse arrivera en temps voulu, accompagnée de drôles de monstres ventrus…
Si DEADLY PREMONITION est un jeu culte pour certains, et inoubliable pour d’autres, c’est tout autant pour son déluge d’audace et de qualités que pour ses naufrages à répétition dignes d’un Titanic vidéoludique. Aller au bout du bout du jeu demande de l’investissement, d’aucuns diront de la résistance. Oui, une partie de DEADLY PREMONITION est un véritable sacerdoce. Techniquement tout d’abord, c’est atroce. Les graphismes sont plutôt moches (oui, l’herbe et même les fleurs, ici Sherilyn fane), la maniabilité est mauvaise et le framerate revêt parfois les atours d’une très mauvaise blague (sous la pluie, il faut le voir et saigner des yeux pour le croire). De plus si le level design est ambitieux, on ne peut s’empêcher de penser que les développeurs ont eu la folie des grandeurs : la carte est relativement vaste mais pas assez dense, ni suffisamment lisible, ça manque d’une véritable expérience en la matière, d’une science – on s’y retrouve à conduire des kilomètres durant pour atteindre notre destination, sans rien d’autre à faire qu’à écouter York (qui se répète quand même souvent) et à pester contre la maniabilité. Il y a bien une option « voyage rapide » mais pour la trouver et la débloquer, il vous faudra sans doute jouer avec un guide – ce que je ne recommande pas, dans un tel jeu. Le level design ne s’arrange pas vraiment durant les séquences de couloir en mode survival horror. Ce n’est pas infamant mais l’encéphalogramme se révèle relativement plat – et je préfère ne pas parler du bestiaire ultra limité, des boss ratés, des QTE immondes, des bugs, etc. Enfin, mon dernier regret touche à la substantifique moelle du jeu : son histoire et ses différents ressorts dramatiques. York est beaucoup plus souvent dans la réaction que dans l’action, et le joueur se retrouve vite contraint à suivre un fil rouge (sang) pour progresser dans le scénario macabre concocté par SWERY. Même si vous soupçonnez un personnage en particulier, vous ne pourrez donc rien faire pour venir en aide à la prochaine victime, pourtant presque désignée – d’ailleurs, il n’y a qu’une seule fin disponible, ce qui m’a abandonné avec un goût très amer de canon scié dans la bouche, lors d’un dénouement qui plus est, un peu louche.
Suivant votre propension à encaisser les coups bas, vous apprécierez plus ou moins la proposition décalée de SWERY : ses idées merveilleuses, son hommage à TWIN PEAKS, son audace invitant le joueur à prendre son temps mais aussi ses meurtres salaces et autres rebondissements osés. Mais le joueur en question, aussi tolérant soit-il, risque de finir usé, psychologiquement rincé à force de tomber de Charybde en Scylla, de bugs en QTE indignes, las. J’ai beau avoir beaucoup aimé DEADLY PREMONITION, je n’y vois en réalité qu’un grand jeu raté.
Édité originellement en 2010 (j’ai joué à la version Director’s Cut de 2013 qui, parait-il, n’ajoute qu’un épilogue et pas grand-chose d’autre), DEADLY PREMONITION avait déjà à sa sortie une bonne génération de retard, techniquement parlant, avec pourtant des ambitions dignes d’une super production… Pétri de qualités mais aussi criblé de défauts, DEADLY PREMONITION est un jeu que je ne peux me résoudre à détester. En réalité d’ailleurs, j’ai adoré y jouer la plupart du temps, et je le referai certainement dans quelques années. Mais je vous préviens : pour apprécier cette aventure en monde ouvert en hommage à TWIN PEAKS, peuplée de personnages truculents, de dialogues percutants et de plusieurs séquences de survival horror correctes à défaut d’être géniales, il convient d’avoir les reins solides… Être capable d’apprécier le chaud et le froid, faire parler son amour autant que sa haine. En gros, être un peu schizophrène ?
Images : Jeuxvideo.com
Trailer :